“Space Explorers : Blue Marble” avec Félix Lajeunesse

Rencontre avec le cofondateur du studio Felix & Paul Studios, Felix Lajeunesse dans le cadre de la sortie de la nouvelle production immersive Space Explorers: Blue Marble. Une entrevue où on parle des défis de filmer dans l’espace, de la réalité virtuelle comme outil narratif et de la sortie de notre nouvel opus.

Exceptionnellement, je vous propose ici la retranscription brut de cette entrevue :

BRUNO : Le 22 avril, c’est le jour de la Terre et pour l’occasion, les gens du studio Félix et Paul, en partenariat avec la NASA, lancent un nouvel opus de leur exploration immersive intitulé Space Explorers Blue Marble.

Pour nous présenter cette nouvelle production, mais également pour nous parler de leur travail présentement avec la NASA dans le cadre de l’émission Artemis, on rejoint Félix Lajeunesse. Il est le cofondateur et chef de la création chez Félix et Paul Studio. Bonjour Félix Lajeunesse. Bonjour Bruno. Félix, quand on regarde tout le parcours que vous avez accompli, depuis un certain spectacle que vous avez enregistré, que vous avez été présenté à South by Southwest, j’ai l’impression qu’il y a des années-lumière de développement. Et je serais curieux de savoir depuis ce temps-là, est-ce que c’est toujours la même chose? Est-ce que c’est toujours la même énergie? Est-ce que c’est toujours la même étincelle qui vous fait avancer à des vitesses de la lumière?

Honnêtement, je dirais que oui, parce que les questions qu’on se posait y’a 10 ans sont essentiellement les mêmes questions qu’on se pose aujourd’hui. Je ne sais pas si on va jamais trouver une réponse à ces questions-là, mais probablement que le plaisir vient de continuer de se poser des questions. C’est ça qui donne de l’énergie.

Tu sais, au départ, quand on a fait Strangers with Patrick Watson, notre premier projet, y’a 10 ans, la question fondamentale qu’on se posait, c’était est-ce qu’on peut, à travers la réalité virtuelle cinématographique, est-ce qu’on peut générer un sentiment de présence?

Est-ce que je peux, en tant que personne qui est dans l’expérience, ressentir la présence de l’autre qui est une personne filmée et réussir à croire psychologiquement, émotionnellement, peut-être même intellectuellement, jusqu’à un certain point, que cette personne-là est là?

Et si ça se produit, cette transposition-là, cet état de présence là, comment ça va changer ma lecture de tout ce qui se passe? Et là, on se disait, il y a probablement la promesse d’un autre médium que le cinéma, parce que le cinéma peut toucher à ça un peu, à cette idée de présence, comme la littérature peut le faire, comme le théâtre peut le faire, mais probablement que le médium de la réalité virtuelle peut le faire de façon beaucoup plus puissante. Et je pense que ce premier projet-là posait cette question-là, et depuis, on continue de la poser encore et encore et encore, puis d’avancer là-dedans.

Ça fait bizarre à dire, avez-vous l’impression que cette première production, c’était la production qui a été le point tournant, même si c’était la première, par rapport à l’œil des gens qui vous découvraient?

Oui, certainement. Pour nous aussi, c’est-à-dire l’œil de l’autre, mais notre œil de nous-mêmes par rapport à notre travail, parce qu’avant de faire ce premier projet-là, je veux dire, on avait passé des années à faire de la recherche et développement, puis à faire de l’exploration créative, technologique, à travers nos conversations.

Ça fait qu’on était vraiment dans une espèce de laboratoire, si on veut, d’expérimentation, puis on ne savait pas vraiment communiquer, comment communiquer avec le monde extérieur, avec tout ça. C’était vraiment plus des choses qu’on faisait dans notre cellule de recherche en se disant, peut-être qu’il y aura un point, à un moment donné, où on pourra sortir de notre laboratoire puis commencer à partager ça avec le monde. Ça fait que ce projet-là a été une opportunité de faire ce virage-là, de sortir un peu de notre bulle, puis de s’ouvrir un peu vers le monde extérieur.

Si on se parle cette semaine, c’est parce que, en partenariat avec la NASA, vous sortez pour le jour de la Terre une nouvelle production, j’allais dire un nouveau grand film à déploiement, mais dans le fond, vous nous présentez notre univers, mais on le voit tellement autrement par vos yeux. Donc, c’est Space Explorers Blue Marble. Qu’est-ce que vous vouliez offrir comme expérience avec cette nouvelle production?

Alors, peut-être pour remettre les gens en contexte, on a tourné pendant presque trois ans sur la Station spatiale internationale, à l’intérieur comme à l’extérieur de la Station spatiale. On a commencé avec les plans intérieurs parce que la préparation logistique, technologique, procédurale pour pouvoir filmer hors de la Station, dans le vacuum de l’espace, était beaucoup, beaucoup plus longue.

Donc, on a gardé tous ces tournages-là pour la fin, fin, fin de notre cycle de production dans l’espace. Et on a envoyé cette caméra-là qui est créée, qui est faite sur mesure pour être attachée au bras canadien, qu’on peut ensuite utiliser comme une espèce de grue cinématographique pour bouger autour de la Station, puis filmer des points de vue en 3D stéréoscopique à 360 degrés, ce qui n’avait jamais été fait, jamais. Donc, la préparation de ça a pris des années. Quand on a été prêts à le faire, le premier objectif, c’était de filmer une sortie dans l’espace, avec des astronautes qui, eux, vont faire des opérations à l’extérieur de la Station spatiale. Généralement, une sortie dans l’espace, ça prend 6-7 heures à peu près. Et on s’est dit, nous, qu’on allait rester hors de la Station en fonction pendant quelques jours pour filmer aussi du visuel, juste des images.

Et ce que l’on voulait vraiment filmer, l’image que l’on voulait absolument avoir, c’est une image de la planète Terre où on peut étirer le bras canadien en dessous de la Station spatiale pour ne même pas avoir l’interférence de voir quoi que ce soit, et d’avoir une vue qui est complètement, complètement, complètement dégagée sur notre planète, en 3D à 360 degrés, et pouvoir filmer des orbites complètes autour de la Terre, de la nuit au jour. Ça, pour nous, c’était comme le Graal. C’était l’objectif ultime d’aller chercher ce plan-là. Puis, pourquoi on voulait le faire? Juste simplement parce qu’on est des humains, puis on se disait que toutes les expériences qui sont inaccessibles, celles de pouvoir voler au-dessus de sa planète et de la voir, c’est quelque chose que je veux en tant qu’humain, c’est quelque chose que j’ai envie de vivre. Et je sais que je ne pourrais pas le vivre comme un astronaute, c’est-à-dire que je ne ferais pas 7 ans d’entraînement pour aller sur la Station. Le processus de sélection, pour un jour, pouvoir faire une sortie dans l’espace, pour un jour, pouvoir peut-être avoir ce point de vue là.

On s’est dit qu’on va utiliser notre présence dans le cadre de ce qu’on tournait dans l’espace, le projet Space Explorers, qui est beaucoup plus large, pour dédier du temps à faire que ça. Et ces images-là, finalement, d’orbites autour de la planète Terre en immersion totale, c’est devenu Space Explorers Blue Marble.

Je vous écoute, puis je me dis comment vous vous sentez. Moi, je sais que pour avoir vu vos autres productions, on se sent petit, puis justement, vous nous permettez de faire quelque chose qu’on ne pourra jamais faire de notre vie, comme simple mortel, de voir la planète. Mais vous, comme créateur, vous avez ça, vous envoyez la caméra dans l’espace, à distance, vous dirigez des astronautes pour qu’ils s’occupent de la caméra, mais après, ces images-là vous reviennent, vous, comme le patron de la création dans votre studio, comment vous vous sentez avec ça dans vos mains?

Écoute, les premières fois que l’on a vu ces images-là, qu’on les a reçues, en fait, je devrais, tu vois, le raconter dans l’ordre chronologique. Quand tu filmes quelque chose comme ça dans l’espace, ça prend un temps avant même que les images se rendent. Donc, juste pour pouvoir regrouper tout le piétage, ça passe généralement par une analyse à la NASA et ensuite c’est libéré. Donc, des fois, il y a des semaines qui passent avant même d’avoir accès au visuel. Finalement, quand le visuel arrive, il y a toujours un sentiment de quelque chose d’extrêmement précieux, comme si quelque chose venait d’arriver de l’espace, tu sais, et qu’il faut en prendre soin. Il y a toujours ce sentiment-là de « des nouvelles images sont arrivées » et là c’est un événement, tu sais. Donc ça, c’est la première chose. La deuxième, c’est celle de pouvoir ouvrir ces images-là et les voir pour la première fois. Et c’est toujours hyper émouvant, honnêtement. Je pense que j’ai l’impression, d’un point de vue créatif, j’ai toujours l’impression que c’est l’aboutissement d’un rêve de plusieurs années.

Parce que capturer ce genre d’image là, si on pense à Space Explorers Blue Marble, pour les gens c’est une expérience d’une vingtaine de minutes. Pour nous, c’est des années de travail et de devoir convaincre des gens, embarquer des gens dans cette aventure, des astronautes, des cadres de la NASA, des gens de plein d’agences spatiales internationales aussi. Parce que quand la caméra sort, elle sort par le module japonais, donc il faut par un partenariat aussi avec le Japon, avec l’agence spatiale, parce que c’est le bras canadien. Donc, tu sais, ça devient une entreprise qui est tellement longue et vaste que de voir les images, c’est une espèce de sentiment aussi d’aboutir, d’aboutir au bout d’un chemin qui a été long. Puis après ça, la troisième phase, c’est juste l’émotion de ces images-là. Puis là, je tombe en mode spectateur à ce moment-là. Je tombe en mode d’avoir capté quelque chose qui est honnêtement beaucoup plus grand que quoi que ce soit qu’on voudrait lui faire dire.

C’est-à-dire que ce genre d’image là, c’est libre à chaque personne de les ressentir. Une personne face à la planète entière et les idées, les émotions, les pensées qui vont traverser les spectateurs, ça ne nous appartient pas. Donc, d’une certaine manière, j’ai l’impression qu’une fois qu’on a fait tout ça, tout ce qu’on a vraiment fait, c’est relayé une expérience vers les humains qui vont la voir.

Puis on n’est pas là, nous, comme un filtre. On est là pour passer l’expérience aux autres, d’une certaine façon.

Mais ce n’est pas banal parce que comme créateur, si vous étiez à produire des films en guillemets « normaux », des films qu’on peut reproduire. J’ai l’impression qu’il y aurait moins de poids sur vos épaules. Là, vous avez à nous présenter la planète. Quand vous décidez de mettre une musique là-dessus, vous ne pouvez pas mettre n’importe quoi. Quand vous décidez de mettre une narration, vous ne pouvez pas mettre n’importe qui. Il y a quelque chose de solennel là-dedans.

Tout à fait. Dans le cas de Blue Marble, comment on a réglé ça, c’est qu’on s’est dit qu’on voulait avoir une présence musicale.

J’allais bien vous dire comment on a réglé ça. Oui. Non, non, mais c’est la résolution de problèmes. D’ailleurs, c’est ça que vous avez posé aussi comme un problème, un challenge. Il n’y a pas de son dans l’espace. Donc, l’idée d’avoir une expérience où il n’y a pas de son, ce n’est pas quelque chose qu’on voulait faire, même si c’était d’une certaine manière respecter la réalité physique de la chose. Le fait est que si le spectateur continue d’entendre les sons de sa pièce, les sons de l’environnement, les sons des avions qui passent, ça sort de l’expérience. Donc, on n’avait pas le choix de créer une bulle sonore pour augmenter l’immersion du spectateur.

Mais ce qu’on a fait au niveau musical, c’est qu’on a tenté d’y aller avec quelque chose d’assez minimaliste et quelque chose de très intime aussi. Donc, on n’est pas dans la musicalité de l’affaire, on n’est pas dans du grand orchestral grandiose à 12 000 instruments.

On a plutôt fait quelque chose de léger, doux, où tu ressens une intimité, une espèce d’intimité entre toi et la terre. Puis on se disait que probablement que si musicalement c’est abordé comme ça, c’est probablement la chose qui se rapproche le plus de l’état que ces images-là nous projettent à l’intérieur de, c’est-à-dire un humain devant le monde. Donc, c’est un peu comme une trame sonore plus de l’humain que de la planète. Vous voyez ce que je veux dire ? Parce qu’on dirait que la planète renverrait à de la grosse orchestration et des grosses trompettes, alors que l’humain, lui, est plus dans une espèce de moment de suspension, moment intérieur en fait. Donc, l’intimité musicale, je trouvais, parlait de cette vérité émotionnelle et psychologique du spectateur. Donc, on l’a abordé comme ça. Je vous écoute parler, puis ça me fait penser à l’exposition que vous aviez montée.

J’avais eu la chance de la faire et l’expérience était doublement ou triplement immersive, parce qu’en plus d’être englobée de notre vue et de nos oreilles, on devait se déplacer. Donc, quelque part, on avait presque l’impression de se déplacer dans la station spatiale.

Comme créateur, comme concepteur, avez-vous l’impression que vous pouvez arriver, et c’est pour ça que j’en parle, parce que dans cette expérience-là, à un moment donné, vous nous permettez d’aller s’asseoir et de se retrouver dans la coupole d’observation. Et là, on a l’impression de voir plein de choses, puis on se dit, dans le fond, c’est ça de la contemplation. Avez-vous l’impression de poursuivre dans ce sens-là avec Blue Marble, de la contemplation ?

Oui, mais la contemplation, pour moi, je la définis dans le cadre, quand on fait un projet en réalité virtuelle que l’on pourrait qualifier de contemplatif, je le qualifie, je le vois, je le positionne comme un moment que l’on redonne au spectateur, un moment qui appartient à l’autre.

Parce que je pense qu’il y a des sujets qui sont juste plus grands que ce qu’on peut essayer de leur faire dire. J’ai l’impression qu’il y a des sujets où, si on essaie de leur faire dire activement quelque chose, on est en train de brûler la puissance potentielle de l’expérience. On est en train de tuer une magie, en fait. Donc, des fois, il y a comme un choix d’aller vers le contemplatif où l’on se dit, l’expérience est tellement forte qu’il faut tout simplement la laisser vivre et juste créer le beau, je vais utiliser le mot « wrapper », mais il faut créer l’emballage, le code et la façon de la livrer aux gens. Mais elle doit être livrée sans filtre, elle doit être livrée sans trop d’intervention, sans trop de recalcul sur comment les choses doivent être faites. Il faut la livrée telle qu’elle. Puis quand on fait ça, on a l’impression de faire, intuitivement, on a l’impression de faire la bonne chose. Il y a d’autres projets dans lesquels on ne travaille pas du tout comme ça, mais dans le cas de Space Explorers Blue Marble ou dans cette section de l’infini que vous avez vue où les gens peuvent regarder la Terre à partir de la coupole, c’est vraiment à propos de ce que le spectateur y projette. Et c’est ça qui rend l’expérience mémorable et la plupart des gens qui l’ont vue s’en souviennent après, parce qu’à cause de ce qu’ils ont vu, mais ils s’en souviennent aussi parce que ce moment-là est devenu leur moment, ils se sont appropriés, donc c’est devenu comme un souvenir personnel. Et ça je pense qu’on peut créer les conditions pour que ça arrive en réalité virtuelle et quand on a l’opportunité de le faire, je pense qu’il faut le faire.

Quand on regarde votre cinématographie chez Félix et Paul Studio, ça se place où Space Explorer Blue Marble? Et là, ne me ditez pas, à la fin, c’est notre plus récente production, mais est-ce que quand vous regardez tout ce que vous avez fait, vous la placez où?

Je la place comme un accomplissement d’une certaine façon du rêve qu’on avait planté avec le tout premier projet.

C’est-à-dire qu’on s’était dit, le premier projet qu’on a fait, Strangers with Patrick Watson, c’était un moment de présence, il n’y avait aucun montage, il n’y avait aucune évolution narrative, on est assis, on est avec Patrick Watson qui est en train de créer de la musique, il est en écriture pour son album, il n’est même pas en concert ou en performance, c’est juste un moment avec lui. On est là avec lui. On est là avec lui, il n’y a intentionnellement pas de début, de milieu et de fin, il n’y a pas un moment où soudainement tu fais, c’est ça que tout ce temps-là on se préparait à arriver à, on n’est pas du tout dans l’anticipation, on est dans un acte pur de présence. Et on voulait être radical là-dessus, on voulait que ce soit ça, cette expérience-là. Et c’est encore à ce jour, je pense, une des raisons pourquoi cette expérience-là est aimée par les gens qui ont suivi l’évolution du studio, c’est qu’elle a ce caractère pur de présence qui n’est pas cadrée, qui ne s’inscrit pas dans une structure cinématographique en trois actes. Puis d’une certaine façon, Blue Marble reproduit ça. Il y a un moment dans lequel le spectateur apparaît et c’est un moment continu de 20 minutes.

On pourrait dire qu’il y a un début et une fin dans la mesure où il y a un lever de soleil au début et un coucher de soleil à la fin. C’est une orbite comme les gens sur la station spatiale la voient. Mais autrement, ça se veut un moment ininterrompu, un moment de présence pur. Et dans ce sens-là, je trouve que ce projet-là fait écho au tout premier.

Quand on regarde les trois années que vous avez passées dans l’espace, puis après je veux qu’on parle d’Artemis, où vous êtes rendu aujourd’hui, mais quand vous regardez ces trois années-là, qu’est-ce qui vous reste en tête? Qu’est-ce que vous retenez de cette expérience-là? Qu’est-ce que vous, vous avez appris?

Le plus gros apprentissage pour moi, c’est l’aspect humain de l’expérience. C’est-à-dire que les astronautes qui vivent ces missions-là, qui s’entraînent pour ces missions-là, qui risquent leur vie à les faire. Des fois, six mois, sept mois, dans le cas de Christina Cook, une des astronautes d’Artemis d’ailleurs, qu’on a filmée pendant ISS Experience, elle a battu le record de la plus longue durée dans le cadre d’une mission en espace et elle, elle est restée presque un an. Donc, de suivre ces humains-là, puis de voir l’engagement de ces humains-là pour l’exploration.

Les astronautes ne font pas ça pour l’argent, ce n’est même pas un métier payant, comparativement à ce qu’ils pourraient faire s’ils travaillaient dans le monde privé. Ce n’est pas des jobs si payants que ça. La raison de cet engagement-là sur plusieurs années, c’est surtout pour l’exploration, pour le fait d’explorer, pour le fait d’essayer d’aller dans l’inconnu et d’essayer de trouver des réponses à des questions que les humains se posent. Et accompagnés comme ça, les astronautes ont fini par se rendre compte que l’engagement est à ce niveau-là. C’est pour le bénéfice collectif, c’est pour l’avancement des grandes questions que l’on se pose en tant qu’humanité.

Je trouve ça vraiment admirable que des gens, c’est comme une forme de service public vraiment premium, où tu vas dans l’espace pour te mettre au service de l’humanité d’une certaine façon. Ce n’est pas un cliché, ce n’est pas de la fiction, c’est exactement ça que j’ai vu pendant ces trois années-là.

Ça a continué de m’inspirer à tous les jours dans mon travail à moi, qui est une autre forme d’exploration, qui est une exploration artistique, technologique, mais je sens cette espèce de fraternité-là avec les astronautes et ça m’a beaucoup inspiré dans leur commitment à explorer. Moi, c’est ça que je retiens le plus.

Et heureusement, par le biais de vos productions, vous permettez au reste des gens qui auront la chance de regarder vos productions, de voir cet engagement de leur part, mais aussi votre engagement, parce que c’est ça qu’on voit à travers vos œuvres.

Tout à fait. D’ailleurs, c’est un excellent point. Une des raisons pourquoi on a décidé que tout ce que l’on allait faire dans l’espace allait être sous la marque Space Explorers, c’est que Space Explorers, ça transporte une vision. Et c’est quoi cette vision-là? C’est que ça parle des astronautes autant que ça parle de nous, autant que ça parle des spectateurs.

Donc, ce sont des explorateurs de l’espace, un espace qui est littéral et qui est figuré aussi. Donc, pour nous, c’est ça, là où la réalité virtuelle peut réellement se positionner par rapport à tous les autres médiums dans l’écosystème du monde des médias, c’est dans le fait que le spectateur fait partie réellement de l’expérience. Pas seulement parce que des gens le regardent des fois, c’est un peu plus profond que ça. Tu as l’impression en réalité virtuelle que l’expérience n’aurait aucun sens si tu n’étais pas dedans.

Tous les choix de tournage, tous les choix de comment on raconte la narration, le rythme narratif, l’espace sonore, tout est construit autour du spectateur et en fonction du spectateur. Donc, on n’est pas là dans une bulle à vouloir raconter notre histoire selon nos idées à nous, nos lubies à nous, puis après ça, on apporte ça à un public, puis on se dit peut-être qu’ils vont aimer ça ou pas. On construit l’histoire toujours en mettant le spectateur dedans, toujours en s’imaginant, OK, on a une personne qui est dans cette scène-là, comment on doit repenser la scène pour que la personne se sente réellement là.

Donc, c’est toujours un travail où le spectateur est absolument central. Donc, on se disait quand il fallait nommer toutes nos initiatives Real Espace, on ne voulait pas donner l’impression que c’était à propos d’un sujet qui est extérieur au spectateur. On voulait pouvoir dire au spectateur c’est à propos de vous et aussi c’est à propos du sujet.

Donc, il fallait trouver une façon de nommer ça où tout ça veut dire la même chose. C’est pour ça que Space Explorers veut dire tout ça en même temps.

Et c’est habile de votre part parce que ça fait de nous par la suite des ambassadeurs. Je ne connais personne qui a vu des œuvres dans cette série-là qui n’en ont pas parlé à d’autres et ne les ont pas invités à aller voir. Bon, écoutez, je veux profiter quand même du moment qu’on se parle pour parler de votre nouvelle « journey », votre nouvelle mission. C’est quand même pas rien, après avoir passé trois ans comme ça dans la station spatiale, là vous êtes avec les gens qui repartent à la conquête de la Lune. La dernière fois que j’ai parlé à Paul, vous étiez dans les préparations, c’était l’an dernier.

C’est vrai, là, vous êtes avec eux. Totalement. Il y a eu des accidents heureux, je dirais, dans la vie, dont celui que le timing de quand on a envoyé nos caméras sur la station spatiale internationale, qui a été le résultat de toutes les étapes qui devaient venir avant pour qu’on puisse arriver au moment du lancement et commencer la production, grosso modo, au moment où les étoiles s’alignaient.

C’est quand même plusieurs étapes. Ici, t’as véré que les étoiles se sont alignées au moment où David Saint-Jacques commençait sa mission. Donc, on était extrêmement content d’être là avec un astronaute canadien. Et David Saint-Jacques était avec Anne McLean, c’était sa partenaire de mission.

Anne McLean qui est une des candidates Artemis, qui va peut-être pas dans le cadre d’Artemis II, mais probablement plus tard avoir son opportunité d’aller sur la Lune. Et David et Anne McLean étaient responsables à mi-chemin dans leur mission d’accueillir Christina Cook, qui est une astronaute de la NASA, qui a été choisie pour la mission Artemis II. Et on a terminé notre deux ans et demi de tournage à l’intérieur de la station avec l’arrivée de Victor Glover, qui était un astronaute qui avait volé avec SpaceX sur la station spatiale, donc en marquant un peu une espèce de moment tournant dans l’histoire où, là, soudainement l’industrie privée peut amener des humains dans l’espace, pas seulement la NASA. Donc, on se retrouvait à avoir Victor et Christina Cook comme personnages assez importants dans ISS Experience. Et évidemment, on ne savait pas à l’époque qu’ils seraient parmi les candidats et ensuite parmi les astronautes choisis pour Artemis II.

Donc, ça crée une espèce de mouvement de continuité qui est vraiment intéressant de pouvoir continuer à documenter leur trajectoire en tant qu’humains et en tant qu’astronaute dans le cadre des missions Artemis. Puis, il y a aussi une opportunité vraiment intéressante avec Jeremy Henson, l’astronaute canadien, avec qui on n’a pas tourné jusqu’à maintenant, mais qui est une espèce de continuité naturelle de l’histoire qu’on a commencée avec David Saint-Jacques.

Est-ce que c’est aussi complexe de tourner, et là je ne vous parle pas uniquement des permissions, mais techniquement, est-ce que c’est aussi complexe de tourner avec une équipe qui est en test comme ça et qui se prépare pour des missions, que ça peut l’être pour envoyer une caméra dans un endroit qui est déjà installé, stable, puis quelque part qui est aussi un endroit délicat, c’est sensible quand même. Est-ce que c’est le même type de complexité?

Ça peut être plus simple comme ça peut être, je te dirais, comparativement aussi complexe. Donc, par exemple, on a fait des entraînements avec une équipe de la NASA qui s’appelle NEEMO.

Donc, Christina Cook et Victor Glover n’étaient pas là, mais ils sont passés par là avant. Donc, à peu près tous les astronautes ou une grande majorité des astronautes vont s’entraîner à un point de leur carrière à NEEMO. Et NEEMO, c’est au sud de Key Largo en Floride, c’est une base submergée, et ils vont dans le fond de l’eau pour essayer de recréer la gravité lunaire.

Et donc, ils apprennent à faire des opérations alors qu’ils doivent travailler tout en se souciant de la logistique, de leur scaphandre, tous les problèmes de pression, d’ajustement de la pression, donc tous les défis qui viennent avec la plongée, ils doivent les incorporer à des tâches très concrètes de travail qui devraient normalement monopoliser leur attention.

Donc, finalement, ce que ça fait, c’est que ça crée un contexte de danger où les astronautes retrouvent le niveau de danger qu’ils vont avoir dans leur mission qui leur permet de tester leur nerf un peu et leur capacité à prendre des décisions dans des environnements extrêmes. On est allé tourner sous l’eau l’été dernier avec le programme Artemis.

La préparation pour aller faire plusieurs jours de tournage dans le fond de l’océan, c’est très complexe. Est-ce que c’est aussi complexe qu’aller sur la station spatiale? Pas nécessairement, parce qu’il y a des gens qui ont déjà tenté de résoudre la question de comment on submerge une caméra. Il y a des antécédents à ça alors qu’il n’y en avait pas vraiment pour ce qu’on a fait dans l’espace.

Mais quand même, c’est un environnement qui est très complexe d’un point de vue logistique au niveau de la préparation. Donc, on retrouve même sur Terre, dans ce que NASA appelle les « analogues planétaires », les « planetary analogues ». C’est les endroits où ils vont pour essayer d’émuler le fait d’être sur Mars ou sur la Lune, sur d’autres corps célestes.

C’est généralement des environnements extrêmes. J’ai une équipe aussi qui est allée tourner en Islande avec des astronautes dans un environnement qui ressemble à la Lune. Une espèce de désert qui a une géologie similaire à la Lune. Donc, on se prépare toujours pour des environnements extrêmes pour être en mesure d’accompagner les astronautes quand ils vont s’entraîner dans des environnements analogues comme ça. Quand vous avez envoyé votre caméra dans la station spatiale, il fallait diriger à distance. C’était des astronautes eux-mêmes qui devaient manipuler votre caméra. Là, quand vous êtes sur Terre, vous pouvez justement filmer, vous pouvez être là pour travailler avec eux, mais à un moment donné, vous allez vous retrouver dans le même scénario que quand vous étiez dans l’espace. C’est-à-dire que quand les astronautes vont aller sur la Lune, vous n’aurez pas un caméraman et un preneur de son qui vont les suivre. Comment ça se passe? Il y a beaucoup de planning à l’avance. Généralement, les missions ne sont pas improvisées, les missions spatiales ne sont pas improvisées.

Quand il y a un spacewalk, une sortie dans l’espace sur la station spatiale, ou s’il y a une mission avec un alunissage sur la Lune, le contenu des missions est souvent prévu à l’avance. Ce qui fait qu’on a quand même une idée de ce qui va se passer. Dans le cas, par exemple, du spacewalk qu’on a filmé, on connaissait grosso modo les potentielles arborescences de ce qui peut se passer.

Évidemment, il y a toujours des imprévus qui sont possibles. L’astronaute peut décider de rentrer et ça change toute la logistique. Mais il y a des arborescences de possibilités. Si ça arrive, alors l’événement B commence. Si l’événement B ne va pas bien, l’événement B prime commence. Et là, comme équipe de tournage, tu es capable d’imaginer ce que l’on va faire si on frappe telle ligne de destin ou telle autre.

Et on peut se préparer des mois à l’avance et même s’entraîner des mois à l’avance à réagir en temps réel. Dans le cas du spacewalk, on a fait ça. On s’entraînait à l’interne, on se créait des problèmes, on se créait des simulations pour voir comment on va réagir en temps réel.

Un peu comme si on était dans une mission spatiale. Après ça, pour la préparation avec les astronautes, les astronautes sont des gens qui apprennent extrêmement vite. Ils sont choisis pour une raison. Ce sont des gens généralement très intelligents. Quand on leur explique quelque chose, c’est bien expliqué, c’est compris.

Et généralement, c’est vraiment compris. Ils vont se souvenir des directives d’une façon impeccable. Donc, il faut se préparer à ne pas être en constante interaction avec eux. Il va y avoir des moments où est-ce qu’on va pouvoir expliquer les objectifs créatifs, qu’est-ce qu’on veut faire, c’est quoi les to-do et les don’ts, comment travailler avec ces technologies-là. Et tout ça, vraiment quand on les briefs sur quelque chose comme ça, on a leur plein d’attention. Et on sait après, on peut partir avec l’assurance que ça a été enregistré. Et donc, ça, je dirais que c’est un aspect important.

Et même, ça va jusqu’au point où si c’est arrivé sur ISS Experience pendant les deux ans et demi de tournage dans la station à l’intérieur, c’est arrivé qu’on leur dise si jamais vous voyez des opportunités de filmer des choses que l’on n’a pas prévues, parce que vous êtes dans cet environnement-là, on ne l’est pas, on vous envoie des recommandations créatives de ce que l’on veut faire, comment ça s’inscrit dans notre histoire, vous les faites, mais il y a probablement plein de choses que l’on ne sait pas. Donc, si jamais vous voyez des opportunités, soyez créatif.

Si vous voulez être créatif, vous voulez prendre la caméra, voici certaines règles. Donc, par exemple, une règle qui est que cette caméra-là, c’est une caméra qui émule une personne. On parlait de présence un peu plus tôt. On place toujours cette caméra-là dans les scènes comme si on plaçait un individu. Si on est assis à une table, on met la caméra à distance humaine de moi, pas là, personne ne s’assoirait là, on me place là, on met les lentilles de la caméra à la hauteur de mes yeux, parce que les humains assis ont à peu près toujours la même hauteur des yeux, grosso modo. Donc, on va placer toujours la caméra en réflexion par rapport à « il s’agit d’une personne que je rentre dans une scène ».

Donc, essayez simplement d’appliquer ça. Et c’est arrivé que les astronautes, effectivement, décident de prendre la caméra et ils ont réussi à faire ça impeccablement. Et donc, ils ont apporté une contribution créative. Donc, toutes ces choses-là s’organisent à l’avance, elles doivent juste être communiquées correctement, au bon moment, clairement.

Et après, avec la préparation et tout, même si c’est complexe, même si c’est de la haute voltage logistique, au bout du compte, on arrive à nos objectifs.

Justement, en parlant de préparation, puis ce sera ma dernière question, Félix, quand on prépare l’alunissage, est-ce que, puis là on le voit, récemment on parle déjà de la mission d’Artemis qui va aller déposer le module lunar qui va permettre à circuler, est-ce que vous aurez droit à un dépôt d’une caméra qui, elle, va filmer l’alunissage?

Il y a plusieurs scénarios qu’on étudie en ce moment.

On n’est pas arrêté à un scénario spécifique. C’est sûr qu’il y a des challenges qui viennent avec filmer un alunissage, dont le fait qu’il y a du régolite. Quand un vaisseau descend, il y a une couche de poussière à la surface de la Lune. Ça, c’est un défi. Ensuite, le site est jamais nécessairement exactement celui où les astronautes vont arrêter.

Je pense que les gens se rappellent probablement de l’alunissage avec Neil Armstrong et Buzz Aldrin. Donc, il y a eu un changement à la fin. Ils ont arrêté finalement, ils ont aluni un peu plus loin que prévu, si ce n’est pas pas mal plus loin que prévu. Donc, il y a une dimension d’intervention manuelle, de jugement manuel dans le moment.

Donc, il y a plein de volets logistiques à ça qui rendent la planification un processus qui va prendre beaucoup, beaucoup de temps. Donc, on est à l’étude de toutes ces potentialités-là. On a différentes pistes de réflexion pour accomplir ça pour l’instant.

On les étudie toutes, toutes, toutes, toutes, toutes pour voir comment on va faire pour aboutir, pour capter tous ces moments-là. Je n’ai pas la réponse de la solution magique aujourd’hui. Parce qu’en 2025, c’est vite pour vous. Oui, si c’est vraiment en 2025. Oui, je pense que ça pourrait être en 2026. Oui, on ne sait pas.

On n’a aucun contrôle ni aucune information insider là-dessus. Ce que je peux dire, c’est qu’après avoir travaillé dans cet univers-là pendant quelques années, là je parle de l’univers de l’aérospatiale et pas de l’univers du cinéma. Oui, c’est ça. Ces missions-là glissent dans le temps.

Donc, on va voir, on suit ça. Mais oui, effectivement, pour nous 2025, c’est comme après-demain. Ça fait qu’on est à fond dans la résolution de problèmes futurs.

Alex Lajeunesse, merci beaucoup d’avoir pris de votre temps pour répondre à mes questions. C’était fascinant. Vous êtes aussi fascinant que vos créations. Vous êtes cofondateur, chef de la création chez Félix & Paul Studio. Et puis, vous nous parliez, si je ne me trompe pas, de Montréal. Absolument. Merci, au revoir. Merci beaucoup. En passant, l’exposition immersive dont on parlait à la Space Explorer, l’Infini, elle revient à Montréal au Vieux-Port avec un tout nouveau contenu. Et ça va être ouvert, c’est à partir du 3 mai.

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