Coup de théâtre jeudi dernier, le CRTC annonçait son verdict dans l’affaire «d’étranglement» du débit Internet par Bell. L’Association canadienne des fournisseurs Internet avait porté plainte en avril dernier devant l’organisme fédéral pour que Bell cesse sa pratique de lissage du trafic Internet. Une plainte qui était suivie de peu par celle de l’Union des consommateurs qui demandait au CRTC d’ordonner à Bell de cesser de ralentir délibérément le trafic Internet pour certaines applications de partage de fichiers.
Dans un avis rendu public jeudi, le CRTC rejette la demande de l’ACFI et confirme que Bell Canada peut poursuivre ses pratiques d’étranglement du trafic Internet qu’elle a adoptées à l’égard du service d’accès par passerelle de gros. Dans son verdict, le président du CRTC Konrad von Finckenstein déclare, que «d’après les éléments de preuve dont nous disposons, nous estimons que les mesures que Bell Canada a prises pour gérer son réseau ne sont pas discriminatoires. Bell Canada a appliqué aux clients de gros les mêmes pratiques de lissage du trafic qu’à ses propres clients de détail».
Le CRTC poursuit en disant que, dans un contexte où la popularité croissante de certaines applications Internet, comme les services de vidéo en ligne, peut entraîner la congestion du réseau, il est maintenant normal que certains fournisseurs de services Internet gèrent le débit du trafic d’une nouvelle façon.
Le hic, c’est que les fournisseurs d’accès Internet qui achètent leur accès à Internet chez Bell ne partagent pas cette approche et voudraient bien gérer eux-mêmes leur réseau Internet qu’ils revendent aux citoyens comme vous et moi en solution de rechange aux services de Bell. Avec l’étranglement de la bande passante par Bell à certains moments de la journée ou lors de l’utilisation de certains logiciels, ces grossistes perdent l’avantage d’une plus grande flexibilité devant le contrôle serré de Bell.
Et les clients de Bell ne semblent pas plus heureux de cette pratique. Anthony Hémond de l’Union des consommateurs déclarait au printemps dernier que «cette pratique de Bell constitue un agissement très grave, car, en plus de ne pas fournir à ses clients ce pour quoi ils paient, la haute vitesse de transfert de données, elle met en cause la neutralité de l’Internet. Nous demandons au CRTC d’intervenir avec la plus grande fermeté».
Tout ça donc, parce que, depuis un an, Bell utilise un système qui lui permet d’identifier le trafic associé à certaines technologies de partage de fichiers et, aux heures d’affluence, Bell peut freiner la vitesse de la bande passante chez un abonné. En entrevue sur le sujet l’an dernier, le porte-parole de Bell m’avait affirmé que cette approche de gestion serrée du débit ne touchait qu’une infime partie de sa clientèle et que cette approche était prise pour assurer un partage équitable de la bande passante aux heures de grande demande. Mais aucune donnée sur le sujet n’a jamais été présentée pour corroborer ses bénéfices.
De son côté, malgré son verdict de la semaine dernier, le CRTC semble prendre la chose très au sérieux et annonce déjà une réflexion et une audience publique le 6 juillet prochain pour regarder de plus près les pratiques actuelles et potentielles de gestion du trafic Internet des fournisseurs de services Internet au pays.
L’organisme fédéral sollicite d’ailleurs les réflexions des intervenants et des particuliers sur les changements d’habitude de consommation de la bande passante pouvant avoir un effet sur la congestion du réseau, sur les pratiques de gestion du trafic Internet et finalement, sur l’incidence de telles pratiques sur les consommateurs. En fin de compte, le CRTC espère fixer des critères qui permettront de déterminer si des pratiques particulières de gestion du trafic doivent être autorisées ou non. Les parties intéressées ont jusqu’au 16 février 2009 inclusivement pour soumettre leurs observations.
Entre-temps, toujours à Ottawa, on apprenait dans le discours du Trône que l’administration Harper allait de l’avant avec son projet de révision de la loi sur le droit d’auteur. Je vous rappelle qu’en juin dernier, le ministre de l’Industrie, Jim Prentice, déposait un projet de loi pour modifier la loi. Une démarche qui veut permettre d’adapter la loi canadienne au contexte numérique qui entoure notre consommation des produits culturels depuis quelques années.
Si les modifications au projet de loi sont acceptées, les Canadiens pourront uniquement faire des copies de chansons, de films, de photos ou de livres numériques sur leurs appareils personnels s’ils en ont fait l’acquisition légalement. Il ne sera plus permis de faire une copie personnelle, à partir d’une oeuvre empruntée à un ami ou louée chez un commerçant.
Nouveauté avec ce projet, l’interdiction de contourner les systèmes de protection que l’on retrouve notamment sur les fichiers musicaux. Ces systèmes qui permettent par exemple de limiter le nombre de copies ou carrément de limiter le transfert d’un fichier sur plus d’un appareil. Et avec cette nouvelle loi, les fournisseurs d’accès Internet canadiens deviendront des messagers et c’est eux qui devront aviser les contrevenants de la violation de la loi lors de chargement illégal de musique sur Internet.
Pour inciter les Canadiens à respecter ce nouvel environnement légal, la loi prévoit des amendes de 500 dollars pour un consommateur trouvé en possession de matériel copié et jusqu’à 20 000 dollars pour un internaute qui tenterait de partager des copies par Internet.
Bizarrement, le projet de loi C-61 laisse encore quelques ouvertures, le régime de copie privée semble toujours subsister pour les cassettes, les CD et les minidisques. Donc, en vertu de ce régime, il serait toujours possible de faire une copie privée sur CD à partir d’un original emprunté. Maintenant, est-ce à dire que quelqu’un pourrait utiliser le CD d’un ami pour le graver sur un CD vierge pour usage personnel comme le permet le régime de copie privée? Et utiliser cette copie personnelle pour la verser dans un baladeur numérique ou autre support et ne pas contrevenir à cette nouvelle loi?